Comment vivait-on à Nozay il y a quatre-vingts ans et quelle a été depuis l'évolution de la commune ?

De la rue du Gros-Chêne au carrefour avec le Chemin-Cadet, on apercevait bien, à l'horizon, la Tour Eiffel, construite à l'occasion de l'exposition de 1889, mais le village restait tout entier à ses travaux des champs, protégé des événements politiques qui ne l'atteignaient que tardivement et toujours très amortis.

Gaston Ratel fut élu maire en 1902 et le resta jusqu'en 1935. Il succéda à cette fonction à Auguste Delange. Avec Gaston Ratel, la commune va s'ouvrir au siècle nouveau. Tenace et volontaire, il sut réaliser d'importants travaux malgré les malheurs de la première guerre mondiale :

  • Adduction d'eau potable en 1905 et 1908 ;
  • Construction de l'école et de la mairie en 1912 ;
  • Eclairage public en 1913 ;
  • Monument aux morts en 1921 ;
  • Grands travaux de drainage dans toute la plaine. Ils permettront d'assurer la culture des légumes qui deviendra rapidement la première ressource de la communne ;
  • Réseau d'égouts non séparatifs en 1934 ;
  • Raccordement au réseau d'alimentation en gaz.

En conséquence, la commune reçut, en 1932, le prix du village modèle. Sa superficie totale étant de 733 hectares, les terres étaient réparties comme suit en 1910 : 

  • Terres labourables : 592 hectares ;
  • Jardins : 2 hectares ;
  • Vignes : 24 hectares ;
  • Fruitiers : 5 hectares ;
  • Pâturages : 10 hectares ;
  • Bois : 100 hectares.

On remarquera que la vigne occupait une place importante qu'elle a perdue aujourd'hui. Chaque cultivateur faisait son vin. On doit à la vérité de dire qu'il était de qualité médiocre lorsque les années étaient peu ensoleillées. On cultivait le blé, l'orge, l'avoine, la luzerne, la betterave à sucre. On comptait alors plus de quatre vingts chevaux, vingt-cinq bœufs et cent cinquante moutons.
Eloi Lacour était maréchal-ferrant du village. Il avait succédé à son père dans la même profession. Il ferrait les chevaux et les bœufs, forgeait les socs et les outils. Son atelier se trouvait à l'emplacement actuel du café « Les Cerises ». Après sa mort, en 1955, nul ne lui
succéda. C'est qu'il ne restait que quelques chevaux, remplacés par les tracteurs dès après la guerre 1939-1945. Le dernier cheval de la commune appartenait à M. Tilly. Il s'appelait Mouton. Il est mort de vieillesse en 1976. Avec lui c'est toute une époque qui disparaissait.

On peut dire qu'au début du siècle, on vivait à Nozay comme on y avait vécu pendant des générations. La main-d'œuvre agricole était nombreuse. Aucune loi sociale ne la protégeait. Sa condition matérielle était pour le moins très modeste. Elle restait à la merci des intempéries, du chômage et surtout de la maladie qui était la grande hantise des familles ouvrières. Les journées de travail étaient longues, surtout pendant la belle saison. Cela avait forgé, pour les patrons comme pour les ouvriers, une race d'hommes et de femmes dure avec elle-même comme avec les autres, âpre au gain, économe, difficile en affaires et méfiante avec l'étranger.
Jusqu'à la fin de la guerre de 1914-1918, les femmes étaient vêtues de la longue jupe serrée à la taille et du corsage au col haut. Les cheveux étaient noués en chignon et elles se coiffaient de la marmotte. Les hommes portaient le pantalon de velours, la blouse et la casquette haute.

On vivait de peu et même de très peu. Il faut dire que les besoins et les ambitions étaient modestes. Jusqu'à la guerre de 1914-1918, l'ouvrier agricole était payé 0,0254 F par jour et nourri à midi.

 1 heure de charretier                 0,0045 F
 1 heure de carrier                       0,0060 F
 Tandis que le pain de 2 kilos    0,0075 F
 la livre de beurre                        0,0025 F
 le litre de lait                               0,0025 F

 
Le pain restait la base de l'alimentation. La viande était rare sur les tables ouvrières. Cependant chaque famille avait son jardin, ses poules, ses lapins et souvent un cochon. Pour nourrir ces animaux, femmes et enfants allaient glaner après les moissons ou la récolte des pommes de terre et grappiller dans les vignes après les vendanges. Pour les patrons, la vie était certes plus large mais restait soucieuse de l'avenir avec la pensée constante d'économiser. Les loisirs, sauf les jours de fête, étaient rares. Il n'était jamais question de vacances ni de voyages. Cette génération connaissait à peine Paris. A partir de 1896, la construction du chemin de fer sur route Paris-Arpajon, avec une gare à La Grangeaux-Cercles, desserra nettement l'isolement de Nozay en permettant le transport des voyageurs, celui des récoltes vers les halles centrales, et des pavés de la carrière du Gros-Chêne destinés aux rues de la capitale. Ce chemin de fer, concurrencé par les transports routiers, cessa ses activités en janvier 1936. Pendant quarante ans il avait rendu de très grands services. Il laisse, encore de nos jours, un excellent souvenir chez les anciens de la commune. Après 1936, Nozay resta sans moyen de transport. La première ligne de cars Arpajon-Versailles, avec un arrêt devant l'église, ne fut ouverte qu'en 1952.

Nozay compte des morts pour la France. Chaque année, le 11 novembre, une cérémonie officielle rappelle à tous le souvenir de leur sacrifice.
En 1940, l'armée allemande occupa toute la région. Des obus tombèrent sur le village, provoquant des incendies et tuant dans la plaine de nombreux soldats français. Les blés étant hauts, on ne retrouva leurs corps que pendant la moisson du mois d'août. Albert David, qui faisait alors fonction de maire, les fit inhumer dans le cimetière communal. Ils ont été, depuis, rendus à leurs familles. En juin 1940, une grande partie de la population avait fui sur la route du sud. Ce fut “l'exode” qui a laissé dans les mémoires de tragiques souvenirs. Nozay ne fut libéré de l'occupation allemande que le 23 août 1944.

C'est pendant cette période de guerre que l'on commença à planter les premières tomates. On sait que cette culture est devenue rapidement une ressource importante du terroir avec les légumes de plein champ transportés chaque matin vers les halles de Rungis.

Alors que, pendant des siècles, la population de Nozay était restée remarquablement stable :

224 habitants en 1190 ;
350 habitants en 1945 ;
700 habitants en 1967.

Brutalement, à partir de cette dernière date, le chiffre de cette population atteint maintenant près de 3.000 habitants, soit, en moins de quinze ans, une augmentation de 320 %, ce qui est énorme, même dans notre département de l'Essonne en constante expansion. Cette progression spectaculaire ne pouvait manquer de poser aux autorités locales de délicats problèmes d'adaptation : voirie, transports, écoles, assainissement, équipements de toutes sortes, assimilation des nouveaux habitants. L'ancienne population rurale reste stable. Le nombre d'exploitations agricoles diminue :

  • 25 exploitants en 1789 - 27 en 1945
  • 17 aujourd'hui.


Elles ne semblent pas devoir augmenter en raison du prix des terres, des difficultés du monde agricole, des profondes mutations de notre société et du goût des Français pour la maison individuelle.

Il ne s'agit pas ici de juger cette évolution mais de constater une situation toute nouvelle, des faits humains, économiques et sociaux. Depuis quinze ans, la physionomie de Nozay a totalement changé, c'est là un fait dont il faut bien tenir compte même si certains, dont je suis, gardent une nostalgie certaine du passé.

De quoi demain sera-t-il fait et quel est l'avenir de la commune que je voudrais brillant et prospère.

Cela pourra faire d'objet d'une suite à cette “ Histoire de Nozay”. Je souhaite qu'elle soit écrite par la nouvelle génération, celle de l'an 2000, qui ne manquera pas, elle aussi, de rechercher ses racines.
 
A.JOUANEN